À LA CROISÉE DES RÊVES – ELIE SOHEEN
Bonjour, bonjour ! Nouvelle chronique chez Inceptio Éditions, avec un énorme coup de cœur en littérature fantastique qui sera, je pense, un de mes coups de cœur de l’année à n’en point douter. J’ai eu du mal à refermer ce livre, et j’ai hâte de vous en parler.
Des fragments de l’imagination à la vie réelle
Depuis toute petite, Isobel a un pouvoir étrange : elle peut influencer, créer et se déplacer entre les rêves. Les siens, bien sûr, mais aussi ceux des autres. Ce secret, elle l’a gardé pour elle. Moquée par ses camarades de classe qui la considérait comme différente, elle ne l’a confié qu’à une seule personne, Finngall, son meilleur ami.
Aujourd’hui âgée de vingt ans, elle tente de vivre avec son don dans un monde auquel elle n’arrive plus vraiment à s’identifier. Pourtant, l’apparition d’une jeune femme dans la vraie vie, puis dans ses rêves va venir tout bouleverser. Elle semble se servir du lien qui l’unie à Isobel pour lui faire parvenir des messages alarmants : des images d’un kidnapping qui tourne vraiment mal. À cela s’ajoute le fait que cette inconnue lui ressemble physiquement de manière troublante.
Perturbée et obsédée par l’idée que quelque chose de mauvais est en train de se produire, Isobel, accompagnée de Finngall, partent enquêter sur ce mystérieux doppelgänger. Ce qu’ils vont apprendre va venir remettre en question tout ce qu’Isobel pensait connaître sur elle et ses pouvoirs.
Le roman est disponible au format papier et numérique aux éditions Inception depuis le 14 mai 2021. Vous pouvez vous le procurer sur le site web de la maison d’édition.
Des personnages aux nombreux défauts qui font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont
Incroyable. Ce texte est incroyable. J’ai accroché à absolument tout, que ce soit les personnages, l’intrigue, le style d’écriture. Ce roman est d’excellente qualité et je ne regrette pas une seconde de me l’être procuré en format papier. Déjà parce que la couverture est super belle, mais aussi parce que je n’avais pas été aussi investie dans une histoire depuis bien longtemps.
Le roman nous présente une intrigue morcelée qui mélange les points de vue de trois personnages : Isobel, Lily et Abigail, toutes liées d’une façon ou d’une autre, mais ça, vous le découvrirez en lisant le texte. On suit Isobel dans le présent, mais aussi dans son passé. Les deux autres personnages ne nous offrent que des fragments de leur réalité, présente ou passée, qu’il va vous falloir réorganiser pour avoir l’histoire en entier. Ce qui est très cool, c’est qu’on a plusieurs types de narrations qui s’entremêlent. Si les segments du passé sont séparés, ceux du présent sont aussi morcelés, entre le monde des rêves et la réalité. Car oui, Isobel a un pouvoir très particulier qui lui permet de visiter le monde des rêves.
Les rêves se présentent comme de petits univers parallèles propres à chaque individu et complètement libres qui disparaissent au réveil. Isobel est capable de se balader entre ces mondes, les siens, mais aussi ceux des autres, et en ayant la possibilité au réveil de se rappeler de tout ce qu’elle y a vu. Isobel est aussi très empathique, ce qui se reflète dans les rêves qu’elle visite et qui sont souvent influencés par les émotions. C’est assez amusant quand on sait que dans la vie réelle, les émotions sont l’une des choses qui lui pose le plus de problèmes. Les parallèles entre les mondes sont assez visibles et témoignent d’un gros travail au niveau du plan de l’histoire. Il y a des tas de petites intrigues qui s’entremêlent pour donner un tout dense et qui prend aux tripes.
L’intrigue est très originale. Elle joue à la fois sur les codes du fantastique, du thriller et du young adult, tout en cherchant à les détourner pour explorer des pistes nouvelles, et c’est très, très réussi. Cela donne aussi beaucoup de rythme à l’histoire, ce qui fait qu’il n’y a jamais de temps mort, et cela sans avoir besoin d’action à outrance. Le récit contient peu de scènes d’action, la résolution de l’intrigue se passe principalement par la discussion, ce qui en fait un roman assez calme à lire pour se détendre, mais ça ne veut absolument pas dire que les thèmes soulevés ne sont pas durs.
On y parle de harcèlement scolaire, de consentement, de maltraitance, de famille perdue, de famille de cœur, d’adoption, de la pression sociale, et ce sont des thèmes qui sont si bien traités que ça fait mal à lire, c’est pesant. Ne vous attendez pas à une lecture toute guillerette comme on en trouve souvent en Young Adult, tout est amer, tout le temps, avec des nuances dans toutes les notions abordées.
C’est très bien traité dans l’ensemble et ça laisse à réfléchir, notamment sur les ambiguïtés dans les relations entre meilleurs amis, comme on le voit dans le traitement de la relation entre Isobel et Finngall et qui fait beaucoup réfléchir. Ce n’est pas exactement de l’amitié, ce n’est pas de l’amour. C’est quelque chose. Et ce quelque chose de difficile à appréhender, il est en arrière-plan de toute l’intrigue. Je n’avais jamais vu une relation entre deux personnages être traitée de cette façon dans un roman, et c’est extrêmement réaliste et vraisemblable. On sent que les personnages s’apprécient, mais aussi qu’il y a des non-dits qui posent problèmes, et plus ils sont révélés dans l’histoire, plus ça pose de problèmes. Cette partie de l’intrigue m’a vraiment bluffée pour tout dire.
Les personnages de manière générale sont excellents. On y trouve de tout, et avec plein de nuances. Des jumeaux qui ne s’entendent pas très bien, des familles en perdition, des personnages qui sombrent et d’autres qui tente de garder la tête hors de l’eau. Il y a tellement de variété de personnages qu’on ne sait plus où donner de la tête. Chaque personnage a sa place dans l’histoire, il n’y en a pas un de trop ou que l’on pourrait supprimer sans perdre une partie de l’intrigue avec lui. J’ai vraiment beaucoup accroché aux personnages principaux, et ça ne rend que plus terrible ce qui se passe à la fin. Parce que, bon sang, cette fin. Quand j’ai fermé le livre, je suis bien restée dix minutes à fixer le vide en me demandant ce que j’allais faire maintenant xD
Et je ne parle même pas du style d’écriture qui est juste incroyable, avec plein de petites références cachées qui font plaisir et plein de niveaux de lecture différents qui viennent encore enrichir l’énorme mille-feuilles de l’intrigue.
Ce livre, c’est un coup de cœur magistral. L’intrigue, les personnages, tout est vraisemblable et traité avec beaucoup d’humanité. Ce roman nous rappelle que la vie n’est pas toujours rose et que tout ce qu’on pense acquis peut un jour être remis en question, avec en prime de jolis messages sur beaucoup de thèmes engagés auxquels je me suis identifiée sans problème. C’est un livre que je relirai sans doute dans le futur, parce que c’est définitivement un de ces livres doudous qu’on a envie de relire pour retourner encore une fois avec les personnages. J’ai été complètement conquise et je le recommande très, très fort.
Un petit extrait ?

— Bon allez, ton portable, insista froidement le jeune homme qui ne souriait plus. Et fais voir ton sac aussi.
Elle n’avait rien répondu et ne fit pas un geste. Comme si en restant immobile, son agresseur cesserait de la voir. Le complice, transparent jusque-là, se leva d’un bond et dévoila un cran d’arrêt. Clac. La lame brilla à la lumière artificielle, Isobel sursauta. Elle aurait pu capituler — elle aurait dû. Sa vie ne valait pas un téléphone, une besace et une poignée de livres sterling. Pourtant, elle demeura immobile, sourde, fébrile, mais stoïque. Impatients et pressés, les deux délinquants se jetèrent sur elle pour essayer de lui arracher ses affaires. Sans difficulté, ils la maîtrisèrent, couteau sous la gorge en guise de menace, puis se mirent en tête de lui faire les poches. À ce moment, galvanisée par la peur, un shot d’adrénaline dans les veines, la Rêveuse songea enfin à se défendre. Elle n’eut même pas besoin de bouger, seulement de rassembler ses esprits une seconde.
— Hey, mec, c’est quoi ?!
— Oh putain !
Aux pieds des deux agresseurs grouillaient une colonie de bestioles minuscules et noires. Des fourmis, en nombre, qui se lancèrent à l’assaut des chaussures des délinquants. Ils reculèrent précipitamment, lâchant leur victime, pour tenter d’échapper aux insectes, mais la horde les poursuivait. Insensibles aux cris et aux tentatives d’écrasement, les petites bêtes gagnèrent du terrain à toute allure. Les jambes, les genoux, les cuisses, la taille… plus la marée montait, plus les complices se débattaient et s’agitaient en vain. Leurs sens leur jouaient des tours, ils avaient l’impression de sentir les milliards de pattes courir sous leurs vêtements et l’infinité de morsures sur leur peau. Ce n’était pourtant qu’une illusion.
Enfin, le métro émergea à la station Govan. Isobel dissipa sa projection, mais ses agresseurs se ruèrent sur la porte de la rame pour l’ouvrir et déguerpir en criant. Blanche comme une craie, le souffle court et le cœur qui tambourinait dans sa poitrine, la jeune fille grelottait. Elle ne s’autorisa à prendre son inspiration que lorsque résonna la sonnerie stridente annonçant le départ du tube. Dans sa nuque, un fourmillement remplaçait la tension qui s’y était douloureusement accumulée. Malgré tout, elle était fière d’elle : elle n’avait rien perdu, ni son sac, ni son téléphone.

C’est tout pour aujourd’hui 😀 Je vous souhaite une très bonne fin de semaine et à très bientôt pour de nouveaux articles !
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