GESTALT – Ivan Kwiatkowski
Bonjour à tous ! Ça faisait un petit moment que l’on n’avait pas eu de la dark fantasy sur le blog, et c’est avec un immense plaisir que j’ai découvert ce roman en particulier, le premier d’une nouvelle maison d’édition extrêmement prometteuse.
Jusqu’où êtes-vous prêts à aller pour arriver à vos fins ?
Gestalt est un monde où l’on ne s’embarrasse pas de la moralité, de la justice, de la vie, tout simplement. On y naît, on tente d’y survivre et on y meurt, peu importe votre classe sociale, votre capacité à vous défendre ou votre bonne foi. Personne ne peut y échapper.
C’est dans cette terre corrompue que sept destins vont s’entrecroiser. Sept hommes et femmes poussés par le devoir, l’amour, la justice, l’envie, la politique, l’humanité et qui ignorent tout des terribles épreuves qu’ils s’apprêtent à affronter : obligation d’exécuter des ordres odieux, divination apocalyptique, trahisons, magie immorale… C’est tuer ou être tué, peu importe le prix, tant que leurs objectifs sont accomplis.
Malheureusement, face à la mort, ni les exploits, ni les grands discours ne pourront sauver leurs âmes. Ils ne le savent pas encore, mais ils sont tous condamnés.
Gestalt est disponible au format papier et numérique sur le site de la maison d’édition Le Chant du Cygne, qui est spécialisée dans les littératures de l’imaginaire sombres pour adultes, depuis octobre 2021. Vous pouvez y découvrir la page de Gestalt et même vous procurer le premier chapitre gratuitement 🙂
Tuer ou être tué
Je ne savais pas trop à quoi m’attendre quand j’ai reçu ce roman en service presse, mais la première chose que j’ai à dire, c’est que l’objet-livre est de superbe qualité. C’est assez rare les couvertures de ce type, et le livre en lui-même est plutôt lourd pour un roman de 340 pages. Ce sont les petites surprises que l’on apprécie. Et je ne parle même pas de la couverture, qui est un énorme coup de cœur, très sombre sans l’être tout à faire.
Nous nous trouvons donc dans un univers de dark fantasy, qui frôle par moment la grimdark fantasy. La magie y est peu présente et le focus est d’avantage porté sur l’individu, la société et la politique. Toutefois, la magie reste présente et devient de plus en plus importante à mesure que le texte avance, jusqu’à un final mémorable et bien, bien traumatisant. Mais elle reste plus dans l’environnement. À part à la fin, il n’y a presque pas de créatures magiques, par exemple. La magie est pratiquée par une poignée de personnes, les mages, et transparaît ensuite dans le monde sous forme d’étrangetés, de mirages, de voix, ce qui est une approche très intéressante et très adaptée au ton du récit.
Le roman se présente sous forme de fragments qui racontent l’histoire des différents personnages, il y a donc plusieurs points de vue. Il y a sept personnages, trois parties par personnages, et ces histoires pourraient même quelque part être lues de manière indépendante par rapport au récit. Les personnages se croisent et interagissent les uns avec les autres, mais leurs arcs ne nécessitent pas les uns et les autres pour être complets. Je trouve là aussi que c’est une approche très intelligente et très originale, ça sort des carcans habituels de ce type de fantasy.
L’histoire se structure principalement autour d’Améon, un mage rendu fou par la disparition de sa bien-aimée qu’il a figé dans le temps et qu’il cherche à ramener à la vie. Pour ça, rien de plus simple, il doit simplement remplir sa pochette d’âmes soigneusement sélectionnées. C’est là que les autres personnages entrent dans la danse, et vont croiser sa route (ou pas, pour certains), et l’aider bien malgré eux à venir à bout de sa quête. C’est un personnage d’abord plutôt discret dans le récit, mais que l’on voit peu à peu prendre la place centrale du récit, et quand on s’en rend compte, ça devient jubilatoire. On voit son évolution à mesure que le portrait des autres personnages se dessinent, et on sait que ça ne peut pas finir bien. La seule vraie question, c’est à quel point ça va mal se terminer ? Et vous n’êtes clairement pas prêts. Les chapitres finaux sont complètement fous.
J’ai beaucoup apprécié les autres personnages également. Ils ont tous de graves problèmes qui ne font que s’empirer à mesure que l’histoire avance, et c’est presque divertissant de tenter de deviner comment ils vont chuter définitivement. On a Spracht, un astrologue capable de prédire l’avenir, mais que personne ne croit vraiment malgré ses prédictions apocalyptiques. On a Cinder, une guerrière puissante mais qui ne se rend pas vraiment compte d’à quel point ses points faibles sont visibles. On a Wolfgang, un jeune homme en apparence simplet, mais aux pouvoirs prodigieux, destructeurs et inédits. On a Midas, qui se bat contre une bête tapie au fond de son esprit, Oswald, qui se voit confier un contrat d’assassinat immoral, Zil, une voleuse qui joue avec le feu, Ragnar, un jeune prince qui rêve de régicide, ou encore Laz, un mendiant devenu immortel et qui se retrouve soudainement vénéré du jour au lendemain.
Eux et bien d’autres vont devoir affronter la mort dans les yeux s’ils veulent voir un autre jour arriver : soit se confronter à leur propre mort, soit la donner, soit la défier. Chaque personnage a ses propres enjeux, ses propres objectifs, ses propres idéaux et ses propres limites, qui sont constamment remises en cause par ce qu’ils vivent. J’ai eu un énorme coup de cœur pour l’arc de Wolfgang, qui est l’un des seuls vraiment humain dans toute cette histoire, ainsi, un peu, pour celle d’Oswald, qui s’en prend vraiment plein la tronche alors que presque rien n’est de sa faute.
Il y en a pour tous les goûts : des intrigues plus tournées vers la réflexion et d’autres sur l’action, de la politique et de la religion, des nobles et des mendiants, des monstres et des hommes. Il y a forcément au moins un personnage qui vous touchera (et vous brisera le cœur), ce qui en fait un récit universel et très complet qui trouvera écho chez presque n’importe quel fan de fantasy.
Je pense malgré tout qu’il sera plus apprécié à des personnes déjà habituées aux genres qu’à des débutants. On sent clairement dans le style qu’il y a une grosse recherche pour tendre la main vers la nouveauté, mais pour l’apprécier, eh bien il faut déjà avoir lu pas mal de dark fantasy et savoir quels sont les éléments types du genre.
En bref, c’est une très bonne découverte et une excellente surprise. Le style est travaillé et de très grande qualité, ce qui est très rare pour un premier livre de maison d’édition. Le monde est original, sombre, sans pitié et les personnages attachants jusqu’à vous faire mal. C’est un livre qui prend un peu de temps à être lu, parce qu’il y a besoin de pauses pour méditer, mais c’est pour le mieux, car ce livre est conçu comme une grande question ouverte : si vous aviez le choix d’accomplir tous vos objectifs, le feriez-vous ? À quel prix ? Une question à laquelle il va, en réalité, être bien difficile de répondre.
Je recommande grandement !
Un petit extrait ?

— Ses hallucinations le poussent à effectuer ces Échanges intempestifs. C’est un miracle qu’il soit encore entier. Je dois le traiter au plus vite ou il attirera le mauvais œil sur votre foyer.
— Faites ce que vous avez à faire, répondit-elle froidement, sans quitter son enfant des yeux.
Le garçon n’y lisait plus de sollicitude depuis bien longtemps. Juste de l’exaspération. Celle réservée aux problèmes qui n’ont que trop duré. Le guérisseur lui tendit un chiffon roulé en boule.
— Mords ça aussi fort que tu peux, conseilla-t-il.
Wolfgang voulut se lever et courir hors de la demeure mais la terreur le pétrifia. Son teint devint livide.
— Je ne les vois plus ! jura-t-il. C’est bon, je suis guéri maintenant !
Sa mère et le rebouteux échangèrent un regard las, comme pour se mettre d’accord sur la manière de réagir à ce mensonge transparent. Ils firent mine de ne pas l’avoir entendu.
— La pression dans sa boîte crânienne est trop importante, reprit le guérisseur en saisissant une longue aiguille et un marteau de chirurgie. Il n’y a qu’une solution…
— Non ! s’écria le garçon malgré lui.
Les Anges interrompirent aussitôt leur conversation et levèrent le bras dans sa direction. Ils entamèrent une incantation dans leur langue natale, coulante et mélodieuse. Wolfgang fut projeté dans un recoin de la pièce. Des coussins le précédèrent pour amortir son atterrissage. Tables et chaises raclèrent contre le parquet, mues par une force invisible. L’enfant se boucha les oreilles pour atténuer les grincements.

C’est tout pour aujourd’hui 😀 Merci d’avoir lu cette chronique et à bientôt pour de nouveaux articles !
Je suis ravie de te voir conquise par ce roman qui avait été une excellente surprise pour moi aussi 🙂
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