LES FRÈRES GIGOGNES – Florie Darcieux
Bonjour ! Nouvelle chronique ! Cette semaine, on sort un peu de l’imaginaire pour aller découvrir le nouveau roman contemporain de Florie Darcieux ! Nous l’avons déjà rencontrée par deux fois sur ce blog, et je ne peux que vous encourager à aller découvrir ses autres textes : Le Millième Pin et L’heure de la Baïne. Que nous réserve-t-elle aujourd’hui ? C’est ce que nous allons voir !
Des frères interchangeables
Cela fait plus de cinq ans que Tobias n’a pas revu Marcus, son frère aîné et sportif de haut niveau. Il ne s’attendait pas à ce que leurs retrouvailles se fassent autour du cercueil de ce dernier, décédé subitement sans que personne ne sache pourquoi avec certitude.
Tobias ne s’attendait qu’à devoir rester pour l’enterrement, mais M. Touraine, le notaire, a d’autres plans pour lui. Marcus lui a laissé en héritage une boîte, qui va réveiller pour Tobias des souvenirs troublants qu’il aurait préféré enterrer pour toujours. Des souvenirs qui lui ont rappelé son enfance, et de ce jour où sa mère a décidé que Marcus serait Tobias et Tobias serait Marcus.
De plus, d’autres éléments troublants gênent le jeune homme. Un groupe d’hommes s’est introduit chez Marcus, à la recherche de quelque chose qu’ils ne semblent visiblement pas avoir trouvé. Tobias découvre avec stupeur que son grand frère modèle semble avoir eu une autre vie, et pense que, peut-être, sa mort n’est pas seulement le fruit d’un suicide comme certaines personnes du village semblent le sous-entendre. Alors il décide d’enquêter, sur les traces de ce passé qu’il aurait préféré ne jamais refouiller.
Accompagné de Léon et Lisa, des amis d’enfance, il part en quête de vérité au contact des personnes qui ont marqué sa jeunesse dans ce petit village des Landes… et qui semblent cacher beaucoup.
Les Frères Gigognes est disponible aux éditions Beta Publisher depuis le 13 juin 2022. Vous pouvez le retrouver au format papier et numérique sur le site de la maison d’édition.
Petits secrets entre cousins
J’ai été très heureuse de retrouver la plume de Florie Darcieux une nouvelle fois dans ce troisième roman, dont le style est toujours aussi unique et poétique. Je ne saurais même pas vraiment le décrire, si ce n’est qu’il ne faut pas s’attendre à énormément d’action. La résolution de l’intrigue passe toujours davantage par le dialogue et le lien aux autres, ce qui fait le charme de ce petit roman.
Nous retrouvons la recette de ce qui a fait le succès des autres récits : les paysages des Landes, qui sont chers à l’autrice, un trio de personnages avec de fort caractères qui partent sur la piste d’un secret de famille bien gardé et souvent destructeur. Ce que j’aime dans l’écriture de Florie, c’est que les personnages ne sont pas prédestinés à l’aventure ou à être des héros, ce sont des personnages comme vous et moi, qui ont des métiers on ne peut plus classique et qu’on ne voit d’ailleurs que très peu en fiction parce qu’ils sont loin d’être glamour. On sue et on pue, et c’est génial ! De même, l’intrigue est très terre à terre, et n’est pas extravagante. Elle cherche à régler un problème qui touche le personnage principal, et seulement lui, ce qui en fait une quête intime. De même, les antagonistes sont gris et ne sont jamais entièrement mauvais juste pour être mauvais, il y a toujours une explication logique derrière leurs motivations.
Nous suivons donc trois personnages, Tobias, le personnage principal, mélancolique et plutôt défaitiste, et ses deux amis, Léon, un jeune homme excentrique et imprévisible, et Lisa, une jeune femme qui semble en savoir plus qu’elle ne le laisse paraître et cache des choses aux deux autres. Tous les trois se lancent sur la piste de Marcus, le grand frère de Tobias, et de ses très nombreux secrets, dans un grand jeu de piste laissé par ce dernier à l’attention de Tobias, comme s’il savait que son frère reviendrait sur les lieux, ce qui les rend encore plus confus. À cela s’ajoute d’autre personnages comme M. Touraine, le notaire, ou Victor, un ancien camarade de classe, et tous les deux semblent également rôder autour des secrets de Marcus. Mais pourquoi ? Je ne peux pas trop vous en dire plus, étant donné que c’est principalement à vous de mener l’enquête.
Les révélations finales sont assez choquantes, même si, avec le recul, on a quelques petits indices qui allait dans ce sens au fur et à mesure de l’intrigue. J’ai beaucoup aimé le fait que l’intrigue joue avec ce type de tabou, qui, encore une fois, est peu traité en fiction de manière aussi réaliste. J’ai vraiment beaucoup aimé toute la dernière partie de l’intrigue et le fait que les langues se délient enfin. J’ai aussi adoré la fin de la première partie qui est très surprenante et inattendue, vu que l’intrigue mettait assez de temps à se mettre en place. J’ai eu un peu plus de mal avec toute la deuxième partie, que j’ai trouvé assez longue et complexe, avec énormément de dialogues qui demandent pas mal de concentration, ce qui était un peu compliqué vu que j’étais en période de mémoire, donc ça vient très sûrement de moi.
J’ai en revanche beaucoup aimé la thématique principale de l’oeuvre qui est celle de la parentalité toxique, un thème qui n’est pas assez abordé en fiction alors qu’il mériterait plus de représentations. Ici, c’est très flagrant, puisque la mère de Tobias et Marcus les a forcé à échanger leurs prénoms, ce qui a été vécu comme un traumatisme pour les deux enfants, et n’a fait que s’accroître avec l’hyper attachement de la mère à Marcus, étouffante, cherchant à diriger ses moindres faits et gestes, et, laissant à Tobias, seulement des miettes et des attentes. C’est encore plus rare du fait que c’est la mère ici qui est principalement problématique, ce qui est en général plus tabou, alors qu’il y a plein de choses à faire avec le thème. C’est un drame familial et humain très intéressant, et qui a en plus une explication crédible et encore plus choquante que toute cette histoire, que je vous laisse découvrir par vous-même. Ça ne vous laissera sans aucun doute pas indifférent.
En conclusion, c’est donc un très bon roman, qui s’adresse davantage à un public adulte que Young Adult, à l’inverse des deux autres romans de l’autrice, bien qu’on y retrouve certaines de ses caractéristiques, comme les thématiques de l’amitié ou de sa vision de la place dans le monde, dans la famille. Le style est super chouette, et malgré quelques petites longueurs, se lit vraiment bien et est toujours aussi envoûtant. C’est l’une des rares autrices que je connais et que je peux direct identifier avec n’importe quel extrait tellement son style est frappant.
Je ne peux que vous encourager à aller découvrir cette chouette aventure par vous-même pour découvrir, vous aussi, les secrets de Marcus, Tobias, Léon, Lisa et les autres. Je pense que vous ne serez pas déçus du voyage !
Un petit extrait ?

— OK, me lance Lisa. On y va, pas le choix !
Cent-dix, cent-vingt, cent-trente kilomètre-heure, la route a beau être rectiligne, elle n’a rien d’une voie à grande vitesse. Mais le SUV nous suit toujours et se rapproche dangereusement.
Je suggérerais bien à Lisa de ralentir, mais je n’ai aucune alternative à proposer. Mon cerveau git dans le jardin de Madame Bonneval, enterré sous les plate-bandes.
Quand à cent-quarante, Victor gagne encore du terrain, je me dis que c’est plutôt ici que nous allons finir, encastrés dans le rond-point fleuri à l’entrée de la station. Et au moment où il est prêt à nous rentrer dedans, la seconde d’après, il disparaît ou presque. À l’arrêt, au milieu de la route, alors que Lisa freine enfin, à quelques mètres du premier dos d’âne.
— Punaise ! Mais tu fais ça tous les jours ou quoi ! je lui hurle.
— Mon père va me tuer ! Cette bagnole ne sort jamais et je viens de laisser dix centimètres de gomme sur la route. Regarde, il a fait demi-tour !
Je me retourne pour voir les feux arrière du SUV s’éloigner dans la nuit. Victor en a fini avec nous pour ce soir.
— La plaque. Je suis sûr qu’il l’a eue. C’est pour ça qu’il s’est autant approché et peut-être aussi pour essayer de nous voir.
Lisa secoue la tête, à la fois sceptique et soulagée.
— Nos têtes ? Tu parles, je suis sûr qu’il n’a rien vu. Regarde, j’ai gardé mon bonnet et toi ta capuche. Franchement, je pense pas… Et pour la plaque, tu peux remercier ma mère. Quand je te dis que cette bagnole ne sort jamais du garage, je te jure que je ne mens pas. Il n’est pas près de la voir en ville. T’inquiète, je la ramène et je vais la garder au chaud. Et je ne suis pas sûr que Victor se précipite chez les flics. À moins qu’il ait un pote aussi véreux que lui, ça va le faire…
Je souris et lâche un long soupir de soulagement. Lisa a raison et la peur du croque-mitaine s’évanouit. Le vacarme se tait pour ne laisser que l’habituel bordel dans ma tête, bientôt assorti d’une évidence réconfortante. Victor a certes la plaque d’immatriculation, mais c’est lui qui est en mauvaise posture. Quelqu’un ici sait qu’il vient de s’introduire dans la maison d’une toute jeune défunte, pour en sortir quelque menu butin. Je serais lui, je chercherais effectivement à trouver qui détient cette information. Mais il n’aura pas besoin d’aller bien loin, il aura bientôt de la visite. Et Dieu sait que je suis un invité modèle.

C’est tout pour aujourd’hui ! Je vous donne rendez-vous bientôt pour de nouveaux articles ! Des bisous !
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