Je jette des livres, et alors ?

JE JETTE DES LIVRES, ET ALORS ?

Bonjour, bonjour ! Je vous souhaite à tous et à toutes une excellente année 2023 ! Aujourd’hui, on parle d’un sujet un peu tabou : la destruction des livres. Et de pourquoi ça ne devrait pas l’être. 

Le constat du jour

Il y a deux jours sur Facebook, je suis tombé sur la publication d’un journal liégeois, révolté parce qu’une bibliothèque en plein déménagement a jeté 25 000 livres dans des containers de recyclage, dans l’optique de détruire ces livres.

Presque immédiatement sous le post, ça a été la vallée des larmes et du mélodrame avec des gens qui ont hurlé à la mort de la culture, que le livre est un produit qui ne périme pas, et que si on veut pas des livres, il faut les mettre dans les boîtes à livres, et puis les enfants africains, vous pensez aux enfants africains ?!

Nous allons donc, point par point, revenir sur ces arguments qui me hérissent le poil pour discuter de la fin de vie d’un livre, qui est, contrairement à ce que beaucoup pensent, inévitable.

Le livre a une durée de vie

Tous les objets ne sont pas conçus pour durer éternellement. Je suis sûr que vous en connaissez plein, y compris votre précieux téléphone portable dont la durée de vie moyenne aujourd’hui est de deux ans. 

Pour les livres, c’est la même chose. Tous les livres ne sont pas conçus pour durer dans le temps, c’est notamment le cas des dictionnaires et encyclopédies, des guides de tourisme, des cahiers de vacances et manuels scolaires, et même des romans utilisés pour l’école généralement au prix de 2 euros parce qu’ils sont conçus avec du papier de faible qualité, ce qui permet notamment de les annoter sans regret. 

Le cas des romans, en général, dérange davantage. On ne veut pas détruire des histoires, de la culture comme on l’entend souvent… Sauf que voilà, la plupart de ces livres se détériorent dans le temps, que ce soit des livres neufs ou des livres empruntés à la bibliothèque, et il arrive bien souvent que des livres deviennent encombrants, abîmés, obsolètes. Et ce sont ces livres là dont on se débarrasse le plus souvent. 

Le principal problème, c’est que ces livres là ne trouvent que très rarement preneurs. Tout le monde se fiche de votre poche de Danielle Steel parce qu’il n’est ni rare, ni précieux, et en plus il pue le moisi. Dans ce cas-là, la meilleure solution, c’est le recyclage, mais nous y reviendrons.

Dans le cas de notre bibliothèque, ce que l’on appelle le désherbage est une étape obligatoire. Tous les ans, les bibliothèques jettent des livres parce qu’ils sont trop vieux, abîmés, n’ont jamais été empruntés et prennent de la place. Comme tout le monde je pense, vous aimez voir de nouvelles choses en bibliothèque de temps en temps. Pour qu’une bibliothèque puisse faire rentrer de nouvelles références, elle doit en supprimer, tout simplement parce que les murs d’une bibliothèque ne sont pas extensibles… Eh oui !

Et c’est encore pire dans l’édition ! La durée de vie d’un livre est extrêmement courte et des milliers de livres neufs sont envoyés au pilon quotidiennement pour être détruits et recyclés. Ici encore, il y a plein de raisons possibles au phénomène : un livre abîmé ou mal imprimé, les retours de librairie de plus de six mois ou un an qui ne se sont pas vendus et ne se vendront vraisemblablement pas, une sortie qui a fait un gros bide, une réimpression de stock qui n’était au final pas nécessaire, des informations obsolètes (tourisme, science, parascolaire…) ou encore la fermeture d’une maison d’édition… 

La cause principale, c’est la surproduction, dont on a déjà parlé dans plusieurs articles. Aujourd’hui, il y a tellement d’offres qu’il n’y a plus assez de place pour tout le monde. Un livre vit en librairie entre un et six mois, où il va faire 90% de ses ventes. Passé ce délai et sa disparition des tables, à moins d’être un best seller, le livre finit par disparaître. Il restera en général en commande sur le site de l’éditeur, plusieurs années pour les petites maisons d’édition, mais seulement plusieurs mois voire semaines chez certains grands éditeurs qui n’ont pas vraiment le temps de s’attarder sur des sorties qui ne fonctionnent plus. 

Même si c’est choquant, la plupart de ces livres neufs, ou même des livres de bibliothèques, ne peuvent pas finir dans une boîte à livre. Certains stocks sont vendus à des bouquineries, notamment lorsqu’une maison d’édition ferme, mais la plupart du temps, la destruction est plus pratique car elle permet de gagner de la place dans les locaux, qui ne sont pas extensibles, une fois encore. Les maisons d’édition ont aussi des contraintes légales vis-à-vis de la concurrence qui les empêche de simplement donner leurs invendus à des associations ou dans des boîtes à livres.

La plupart des livres se recyclent

Cette partie est en général moins connue du grand public, mais les livres se recyclent, plusieurs fois. Il y a par ailleurs de grandes chances que le livre que vous tenez entre les mains proviennent de papier déjà recyclé. Le papier est recyclable entre cinq et dix fois. Avec un livre, vous pouvez faire dix nouveaux livres ou des magazines, des journaux pour le papier qui a déjà été très usé. 

Ainsi, même s’il y a surproduction, tous les livres détruits vont avoir une seconde vie, que ce soit en bibliothèque ou en maison d’édition, et même chez vous si vous prenez le temps de les recycler convenablement. C’est parce que des livres sont détruits que l’on a des nouveaux livres qui sont produits. C’est un cycle qui prouve que le livre a bien une durée de vie, et que celle-ci peut être relativement courte.

Il est aussi bon de rappeler qu’il y a également une crise du papier mondiale actuellement, et que le recyclage des livres est ce qui permet à l’imprimerie de survivre et de prospérer. Les stocks de pâte à papier sont bas, et on en importe énormément actuellement, ce qui occasionne des retards que l’on retrouve chez plein, plein d’éditeurs actuellement. 

Et donc non, je n’ai aucun regret à me débarrasser de mes vieux livres si ça peut permettre d’en créer de nouveaux !

Détruire des livres, c’est la mort de la culture !

C’est une grosse idée reçue et l’une de celles que ceux qui sont opposés à la destruction des livres brandissent à tout va : « Vous détruisez des livres qu’on ne trouve plus nulle part ailleurs, c’est la mort de la culture ! »

Par pitié, arrêtez avec cet argument. Aucune bibliothèque, aucune maison d’édition et en général aucun particulier ne jette des livres rares et qui ont de la valeur. C’est ce que l’on appelle le contenu patrimonial, et c’est archivé, classé et soigneusement protégé pour éviter que ça se dégrade dans le temps. Vos livres rares, ils sont à l’abri depuis des siècles et personne ne va y toucher pour les siècles à venir, relax.

On jette aujourd’hui des livres qui n’ont plus aucune valeur parce qu’ils sont obsolètes, abîmés ou produits en grande quantité. Ce sont par exemple de vieilles revues publiées en milliers d’exemplaires, des romans poches (qui sont déjà une réédition en petit format d’une publication qui s’est vendue à des milliers d’exemplaires et ne sont donc absolument pas rares), des livres documentaires, des dictionnaires, des encyclopédies dont le contenu a été revu et amélioré depuis, voire qu’il est dangereux de consulter car remplis d’informations fausses, et tout plein de livres qui sont passés entre tellement de mains qu’ils ne tiennent plus debout.

Oui, il y a des auteurs qui disparaissent pour toujours, mais ça, c’est un phénomène historique normal et sain. Tout le monde ne peut pas devenir Balzac, tous les auteurs ne peuvent pas marquer l’histoire, et des millions d’auteurs ont disparu dans les limbes du temps parce que leurs écrits ne se lisent plus ou dans une époque précise, ou sont tout simplement médiocres, lol. Il y a des études qui disent que jeter des livres de certains auteurs, c’est refléter votre propre peur de l’oubli et de la mort, et c’est pour ça qu’il est parfois difficile de jeter. Pour autant, à un moment donné, il faut être raisonnable. 

On ne tue pas la culture en détruisant des livres, on aide à faire de la place et indiquer aux maisons d’édition quels types de contenus on ne veut plus pour qu’ils n’en refassent plus et évitent la surproduction, tout en assurant un avenir pour les livres à venir. C’est une méthode simple et efficace.

Mais il y a d’autres alternatives !

En effet, mais elles ne concernent que les livres en bon état, et je dirais même en très bon état. Il est normal que des livres presque neufs et ayant été lus une ou deux fois puissent être déposés en boîte à livres, en bibliothèque ou en association, pour qu’ils puissent avoir une deuxième existence auprès d’un autre public. 

Mais ça ne concerne pas tous les livres. Il y a une raison pour laquelle les bibliothèques n’acceptent pas les dictionnaires, les encyclopédies, et parfois même les livres documentaires : ils sont obsolètes et ne bougeront jamais des étagères. Et c’est pareil en boîte à livres. Aujourd’hui, les gens utilisent les boites à livres, les bibliothèques et les associations comme une poubelle parce qu’ils se sentent coupable de jeter des livres qui n’ont plus aucune valeur et les encombrent. 

Le problème, c’est que ça ne rend service à personne. Les bibliothécaires et les associations perdent un temps fou à trier des livres qui sont souvent soit très abîmés soit très obsolètes, soit qu’ils ont en dizaines d’exemplaires… Et les mettent à la poubelle de toute manière ! Pareil pour les boîtes à livres. Tous les mois, des bénévoles ou des agents de la mairie retirent tous les livres moisis, abîmés ou obsolètes pour les recycler de toute manière. Vous ne faites que retardez l’inévitable et donner plus de travail à des gens qui n’ont vraiment pas que ça à faire. Et c’est encore pire quand c’est imposé. Combien de fois j’ai pu lire que des gens avaient abandonné des cartons de livres devant une école ou une bibliothèque pour que les employés se démerdent avec ? Ayez un peu de respect pour les gens dont le livre est le métier et allez recycler vos livres.

De même, on lit souvent que les vieux livres abîmés ou obsolètes pourraient faire le bonheur d’Emmaüs, ou des petits africains, ou des EHPAD… Vous vous rendez compte d’à quel point le message que vous transmettez est mauvais ? Parce qu’ils sont pauvres ou en précarité, ces personnes devraient lire uniquement des vieilleries abîmées ? Non seulement votre idée de la précarité est à vomir, mais en plus vous n’aidez personne parce que spoiler : vos livres seront recyclés de toute manière, parce que les employés des EHPAD et des associations, eux, en ont vraiment quelque chose à faire.

Pire, dans les pays étrangers où vous envoyez ces livres, non seulement vous les faites voyager en avion, donc niveau écologie, on repassera, mais en plus vous sabotez l’économie locale. Les pays d’Afrique aussi ont des maisons d’édition et des librairies, mais parce que l’Occident a décidé d’en faire la poubelle du monde (vous croyez que les décharges se créent comment en fait ?), leur culture a du mal à se développer et à s’exporter. De même, les écoles n’ont pas besoin de manuels scolaires de 1995, les programmes scolaires ont autant évolué que les nôtres, et en plus, c’est ridicule parce que vous leur imposez des textes et de l’histoire occidentale qui ne correspond pas à leur réalité, et envoie en plus un message colonialiste assez puissant. 

Vous voulez les aider ? Il y a des ONG qui ont besoin d’argent et qui savent ce qu’ils font, là au moins vous serez utiles. Les pauvres n’ont pas à accepter vos poubelles.

Oui, mais, euh, de toute façon il y a rien qui change

Si vous voulez aider à votre échelle, encouragez cette pratique, qui n’apporte certes pas la célébrité mais est plus responsable. L’impression à la demande est en plus, la plupart du temps, pratiquée par de petites maisons d’édition qui ont besoin d’un public pour exister, donc n’hésitez pas une seconde !

Oui, ça c’est vrai. Tant qu’il y aura une surproduction massive au niveau éditorial, ce problème existera. Pourtant, il existe une alternative à ça qui est la publication à la demande. Au lieu d’imprimer un stock de livres prédéfini, l’éditeur n’imprime le livre que si un client le demande. Ainsi, il n’y a pas de risques de livres envoyés au pilon, puisqu’il n’y a pas d’invendus.

En bref, donner des livres, oui, mais uniquement de manière responsable. Si vos livres sont abîmés ou obsolètes, le meilleur service que vous pouvez leur rendre est de les recycler, ce qui permettra de créer de nouveaux livres !

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