[Murmures Littéraires] Rencontre avec les gagnant.e.s de la catégorie fantasy

RENCONTRE AVEC LES GAGNANT.E.S DE LA CATÉGORIE FANTASY

Hello, hello ! On continue les interviews des gagnant.e.s de l’édition 2022 des Murmures Littéraire avec la catégorie fantasy ! Ce n’est en réalité qu’une partie des auteurs, les autres ayant souhaité réaliser leur interview seul.e.s. Celles-ci arriveront très bientôt ! En attendant, nous retrouvons Cancan, Estelle Castadère et Estelle Carballar pour un échange autour du genre et de leurs histoires. N’hésitez pas à suivre nous auteur.ice.s du jour avec les liens suivants (Cancan n’en a malheureusement pas, mais n’hésitez pas à lui témoigner votre soutien en commentaire ! ) :

Estelle Castadère : Wattpad | Site web | Instagram
Estelle Carballar : Wattpad | Facebook

Bonjour à vous trois ! Avant de passer aux questions plus précises, est-ce que vous pouvez vous présenter aux lecteurs ? Quel est votre parcours d’auteur.ice ?

Cancan : Bonjour Oriane, jeune retraité, je n’ai pas d’expérience en tant qu’auteur, si ce n’est la passion de l’histoire, de la lecture et de l’écriture. Je suis originaire d’un petit village de l’Isère où mes parents cultivaient leur ferme. Je voulais être paysan, cela n’a pas été possible. Je me suis orienté vers des études longues, scientifiques. La fac d’histoire était une option sérieuse, mais j’ai dû y renoncer pour des raisons matérielles. Ma vie professionnelle a été partagée en deux parts égales, comme ingénieur d’abord, puis comme gérant d’un camping-caravaneige dans l’Oisans avec mon épouse.

Ces dernières années, j’ai beaucoup écrit, pour mon propre plaisir, sur un thème original : une société animale réaliste comparable à l’humanité. Je suis convaincu que l’évolution naturelle mènera sur d’autres mondes et dans d’autres conditions des branches animales différentes de nous, hominidés, au stade que nous avons atteint. J’ai choisi les canards par référence à mon enfance de fils de paysan et parce ce que ce volatile expressif et assez inoffensif se prête bien à une exploitation littéraire de par les nombreuses références canardesques de notre langue. Mes héros sont manipulés par un destin imprévisible et souvent cruel. C’est aussi une part de moi et un message que je souhaite transmettre : surmonter les aléas de la vie.

Estelle Carballar : J’ai commencé à rédiger des histoires dès que j’ai appris à écrire. Ce n’est qu’à partir du collège que j’ai pu commencer à faire mûrir l’idée de La Mère des Cendres, roman avec lequel j’ai remporté le concours des murmures littéraires. Après avoir rédigé un premier jet ainsi qu’une première réécriture, je me suis décidée à le poster sur Wattpad en 2016. J’ai recherché l’avis de nombreuses personnes qui m’ont appris à m’améliorer sur plusieurs années. Je les remercie d’ailleurs beaucoup. Autrement, je ne serais pas allée aussi loin.

Estelle Castadère : Bonjour ! L’écriture a (presque) toujours fait partie de ma vie. Dès l’enfance, j’ai commencé à écrire des contes, des ébauches de roman, des poèmes, et à noircir des journaux. Je disais toujours que “quand je serai grande, je serai écrivaine”. J’ai grandi avec la certitude que c’était ça qui était fait pour moi.

Mais arrivée à 18 ans, quand il a fallu s’orienter après le lycée, la pression de trouver un travail stable, de faire des études offrant des débouchés “sérieux” a eu raison de ce rêve de toujours. Je me suis persuadée que c’était un objectif irréaliste et inatteignable, que je n’avais aucun talent et qu’il valait mieux abandonner avant même d’avoir essayé. Je n’ai rien écrit du tout pendant plus de 8 ans. Rétrospectivement, je considère que c’est l’erreur la plus grossière de ma vie, même si je m’efforce de ne pas avoir de regrets.

Et puis un jour, à 26 ans, le désir d’écrire est revenu sans crier gare. Je travaillais alors dans un musée et effectuais des recherches pour un futur projet professionnel autour des contes traditionnels landais. Me plonger à nouveau dans la littérature et l’imaginaire a fait rejaillir mon envie d’écrire avec une grande force. J’ai d’abord repris mes marques en écrivant des contes et des nouvelles, avant de me lancer dans la rédaction de Valacturie, mon tout premier roman.

Aujourd’hui, à 32 ans, je partage mon temps entre mon activité de conteuse professionnelle dans les Landes et mes ambitions d’écrivaine qui sont plus fortes que jamais. J’écris, pour le moment, exclusivement de la fantasy pour ados et jeunes adultes. L’imaginaire est le genre qui me porte et m’inspire le plus, mais je ne me ferme pas à l’idée d’explorer d’autres genres un jour ! Pour le moment mes romans sont toujours à la recherche de leur maison d’édition, et je ne baisse pas les bras.

Vous êtes réunis tous ensemble parce que vous avez tous les trois remporté le concours des Murmures Littéraires dans la catégorie fantasy. Est-ce que vous pouvez brièvement nous dire ce que racontent vos romans ? Comment sont nés ces projets ?

Cancan : C’est une histoire de canards, d’êtres palmés (pendant de l’être humain). Leur monde est soumis à des menaces externes (péril de l’ennemi héréditaire) et internes (injustice, dictature). Mes canards ne sont pas bizarroïdes, plutôt anthropomorphes et leur société ignore la magie et la divinité, bien que certains de leurs concepts frôlent cette dernière.

La Révolution des Canards raconte comment un caneton victime d’un terrible coup du sort, ballotté par le destin, va grandir, nouer des amitiés, subir à nouveau des aléas implacables, aider ses amis, survivre face aux ambitions des puissants de son monde et enfin fomenter cette Révolution qui en est bien une. Il n’en maîtrisera pas le déroulement, mais s’accommodera du résultat pour un temps.

Ce roman est en fait la préquelle d’une œuvre plus longue consacrée à une grande aventure des canards partis explorer leur monde et contraints de le faire pour survivre. Ces aventuriers viennent d’une improbable république des canards, une démocratie directe inspirée de l’Athènes classique, incapable de contenir l’ennemi héréditaire. Ils partent à la recherche d’amitié avec les autres peuples de leur espèce. Comme je ne suis jamais parvenu à contenir l’histoire dans un cadre donné, cela remplit trois gros volumes et foisonne dans tous les sens. Quand je l’ai soumis à des éditeurs, j’ai compris d’une part que, pour un parfait inconnu, il était vain de proposer une somme de trois tomes. D’autre part, le texte comportait de nombreuses digressions sur cette république et la révolution qui l’avait engendrée ; cela détournait inutilement l’attention du lecteur et n’apportait rien d’essentiel à l’aventure principale. J’ai alors décidé d’écrire un « tome 0 », une préquelle, pour montrer comment les canards ont un jour inventé leur République. Je m’étais fixé deux impératifs : autour de 200 pages et la compatibilité avec les personnages de la suite. Rétrospectivement, les objectifs sont à peu près atteints. Cela devrait me permettre d’alléger la rédaction de l’aventure qui suit, de la rendre plus fluide.

Estelle Carballar : Dans un monde inspiré de la mythologie grecque, une déesse ayant trépassé pendant la titanomachie s’est réincarnée. Cette divinité, ennemie des dieux, avait réduit le monde en cendres avant de disparaître. Afin d’empêcher un nouveau désastre, le roi des dieux a décidé de tuer tous les nouveaux-nés. Trois petites filles survivent pourtant dans une cité coupée du monde.

Mon roman est né d’une passion pour la mythologie grecque. J’avais au départ pour ambition d’en faire une réécriture dans les grandes lignes, avant de transformer l’histoire en tout autre chose. Si l’univers des dieux grecs et les différents mythes qu’on leur connaît sont bien présents, l’intrigue de l’histoire est une pure invention de ma part.

Estelle Castadère : Valacturie est le premier tome d’une duologie de fantasy young adult. La trame était au départ celle d’un conte. À ce moment-là, comme dit précédemment, j’écrivais des contes inspirés du folklore landais, et j’avais noté dans un carnet toutes les idées que je voulais explorer. Et cette idée-ci, en particulier, m’a donné envie de l’exploiter plus largement, de l’étirer dans tous les sens, de l’enrichir, de la nourrir assez pour en faire un roman.

La trame de base était assez simple : un marais maudit perdu dans les montagnes, lieu hanté, porte vers un monde obscur, qui s’éveille après des siècles et menace d’engloutir le royaume dans ses ténèbres. Les Hommes avaient autrefois érigé le tombeau des Rois au bord de ce marais, afin que les Spectres des courageux monarques protègent les humains des êtres noirs qui pullulent dans cet autre monde. Mais les Spectres ne parviennent plus à endiguer le Mal, et le tout premier des Anciens Rois, surnommé le Roi Renard, apparaît devant le Duc des montagnes pour le mettre en garde.

Ça, c’était l’idée de départ. Quelque chose d’assez traditionnel dans sa construction, que j’ai eu envie d’explorer, de reprendre à ma sauce. Autour de ce point de départ, j’ai créé mes deux héroïnes : Énith, la fille du Duc des Montsombres, passionnée d’Histoire et de langues mortes, plus à l’aise avec les livres qu’avec les relations mondaines. Léonor, jeune musicienne itinérante, libre et indépendante, qui ne retourne dans sa ville natale que pour fêter le Solstice en compagnie de sa grand-mère, sa seule famille.

Toutes les deux vont devenir, bien malgré elles, les clés pour sauver leur monde des ténèbres. Énith, parce qu’elle se retrouve en possession d’un manuscrit très ancien, jamais traduit auparavant, qui énumère toutes les créatures, plus incroyables les unes que les autres, qui peuplent les Autres Mondes. Léonor, parce qu’elle a hérité d’un don de télépathie que l’on croyait disparu et qui la lie à Valacturie, le monde qui renferme les êtres les plus sages et puissants jamais connus. La clé de leur salut.

Sur fond de guerres de religion, de drames familiaux, d’amitiés et d’amours naissantes, Énith et Léonor se lancent donc dans l’aventure pleine de dangers qui les mènera jusqu’à Valacturie.

Pourquoi cet attrait pour la fantasy animalière, Cancan ? C’est un genre qui revient sur le devant de la scène aujourd’hui, notamment avec les Mémoires de la forêt de Mickaël Brun-Arnaud. Est-ce que c’est l’une de tes sources d’inspiration ? Est-ce que tu as d’autres sources d’inspiration ? Il est en général plus compliqué de faire lire ce type de texte à un public adulte, est-ce quelque chose qui a pu te gêner dans ton parcours d’écriture ?

Cancan : C’est plutôt un retour aux sources d’une enfance passée dans un milieu rural de petites exploitations familiales qui pratiquaient polyculture et élevage (un monde disparu de nos jours en France). Les animaux, domestiques, sauvages ou semi-sauvages, foisonnaient dans cet environnement.

Il faut avoir une part d’enfance en soi pour aimer lire, écrire de la fantasy animalière. C’est mon cas et, je pense (j’espère), celui d’une grande partie des adultes. Une source d’inspiration et une motivation pour poursuivre l’effort dans cette direction : La Planète des singes de Pierre Boulle.

La fantasy antique connaît une grande recrudescence en ce moment, notamment autour des mythes d’Hadès et de Perséphone. Estelle, est-ce que ton histoire s’inspire un peu de ce mythe ? C’est aussi un genre déjà très bien fourni. Est-ce que tu as parfois eu des difficultés à t’écarter de ce qui a déjà été fait dans le genre ? Comment as-tu réussi à retourner l’Olympe pour le rendre plus original ?

Estelle Carballar : Je comprends tout à fait l’engouement qu’il peut y avoir autour du mythe d’Hadès et Perséphone, et je l’affectionne moi-même beaucoup, mais mon histoire ne s’en inspire pas particulièrement. Même s’il est bien présent et abordé dans l’univers que j’ai construit, il n’est pas le cœur de l’histoire. Au moment où j’ai imaginé mon roman (il y a maintenant plus de dix ans), je ne pensais pas que la mythologie grecque, et notamment l’histoire d’Hadès et Perséphone allait autant être reprise.

J’ai déjà eu l’occasion de me demander en quoi je pouvais me démarquer de ces réécritures, et je pense le faire de plusieurs façons. Pour chaque passionné de mythologie, certains éléments, plus que d’autres, nous ont amenés à apprécier ces récits. En ce qui me concerne, ce qui m’a le plus marqué a été de voir tracé un portrait de l’humanité imparfaite à travers des figures de dieux. Les mythes originaux sont cruels, et ils reflètent tous nos défauts, de même qu’une façon de penser liée à la civilisation de l’époque. Si je reprends ces mythes, je ne cherche pas à les rendre plus tendres, ni politiquement corrects. Ils abordent souvent des sujets durs, et c’est ce qui m’intéresse. Un autre point concerne l’intrigue en elle-même. L’univers dans lequel se déroule mon roman est un peu particulier, puisque j’y ai rajouté deux divinités majeures de mon invention, qui chamboulent la chronologie des mythes.

L’univers de la mythologie grecque est incroyable à explorer pour lui-même, mais au-delà de ça, je l’ai choisi car il était le prétexte parfait pour parler de sujets qui me tiennent à cœur, et arriver à développer des personnages complexes dont il est possible de questionner les actes en permanence. J’essaye de développer à la fois les personnages mythologiques et ceux que j’ai créés dans ce sens-là. Des lecteurs m’ont souvent fait la remarque qu’ils n’avaient pas envisagé tel ou tel dieu de la façon dont je les présentais. Je pense que cela joue beaucoup pour se démarquer des autres réécritures. Si les mythes nous présentent de nombreux dieux avec certains traits caractéristiques, ils nous laissent assez de liberté pour les imaginer de manières très différentes. Hadès en est très bon exemple, souvent utilisé comme antagoniste au cinéma, tandis que les mythes originels ne le destinaient pas à ce rôle.

Estelle, tu m’as dit que ton histoire est inspirée des contes et légendes traditionnelles des Landes, ce qui n’est pas commun. Est-ce que cette matière est difficile à travailler (vis-à-vis du nombre de sources, de la facilité d’y accéder…) ? Pour les lecteurs qui ne connaissent pas, quels sont les types de légendes et de contes que l’on retrouve le plus ? Comment les as-tu réadaptés pour ton histoire ?

Estelle Castadère : Comme dans beaucoup de départements français, les contes traditionnels ici dans les Landes sont très nombreux, et très variés. Peut-être un peu plus encore qu’ailleurs, puisqu’au moment de l’implantation de la forêt de pins au XVIIIème siècle, face au profond chamboulement du paysage et du mode de vie dans les Landes, certains landais ont compris que leurs traditions allaient disparaître et ont fait un travail de sauvegarde monumental des chants, des contes, des expressions gasconnes propres aux Hautes-Landes, un travail photographique également pour immortaliser les vastes étendues rases et les bergers sur leurs échasses, avant l’arrivée de la forêt. Bref, je m’égare. Tout ça pour dire que les contes landais sont très nombreux, que l’imaginaire landais est très riche, et les ressources pour les découvrir sont aisément accessibles.

De nombreux contes landais sont en lien avec la nature, qui tenait une grande place dans le quotidien. L’eau en particulier, sous toutes ses formes, mais aussi les arbres, les plantes, les pierres, le sable… On trouve également beaucoup d’histoire de Diable et de sorcières, des créatures traditionnelles comme les fées ou les ogres, mais aussi beaucoup de créatures bizarroïdes typiques des Landes. Certains contes penchent vers le grivois et le trivial, des contes à rire qui reflètent le quotidien des landais, quand d’autres vont s’inscrire dans un registre merveilleux, très proches des grands contes européens de Perrault ou de Grimm que l’on connaît tous. C’est donc une source d’inspiration très riche !

Pour Valacturie, je me suis inspirée de trois éléments de légendes locales que j’ai réunies en une seule. Je vous ai dévoilé la trame juste au-dessus, qui est donc née de ces trois éléments :
– Un marais maudit que l’on appelle l’Oeil de Grué, qui se trouve dans la Haute-Landes et qui aurait été créé par le Diable.
– De grands talus, des “tucs”, qui s’élèvent sur la lande et sont d’origine humaine, mais tellement anciens qu’on ne sait plus quelle était leur fonction. Certains racontaient qu’il s’agissait de tombeaux d’anciens rois.
– Un renard argenté magique qui court la forêt (inspiration pour le Roi Renard)

Ce sont ces trois légendes qui m’ont donc inspirée la trame de base de Valacturie. Mais c’est tout, le reste s’en détache complètement !

La fantasy a connu une grande envolée en France et dans le monde ces dernières années. Selon vous, est-ce un bien ou un mal ? Ne risque-t-on pas de boucher le marché comme c’est le cas avec la romance depuis quelques années ? Pour vous, qu’est-ce qui fait un bon roman de fantasy qui se vend aujourd’hui ? Est-ce que vous avez envie de ce modèle ou est-ce que vous cherchez plutôt à vous en éloigner ?

Cancan : Comment cela pourrait-il être un mal ? Passés les effets d’annonce et de publicité, c’est le bouche-à-oreille et la qualité des œuvres qui attirent de nouveaux lecteurs. Le lectorat peut grandir et se multiplier et la réserve est presque infinie. Les ingrédients d’un bon roman de fantasy : de l’aventure, des sentiments authentiques, du merveilleux, de l’espoir, le Mal, le Bien et le Gris aux multiples nuances. Une belle écriture en bon français. Pour qu’il se vende, il faut encore passer la barrière des comités de lecture noyés sous une avalanche de manuscrits

Estelle Carballar : J’ai du mal à me dire qu’il existe une bonne recette pour un roman de fantasy. Pour moi, la fantasy, c’est avant tout et tout simplement un univers dans lequel le merveilleux est quelque chose d’acquis. À partir de là, tout devient possible pour l’auteur. Le merveilleux n’est qu’une variable qui peut s’accoupler à n’importe quel autre genre. Je pense que nous pouvons avoir l’impression d’un risque de boucher le marché non pas avec un genre omniprésent, mais avec la façon dont il est exploité, avec un schéma d’histoire qui se répète. Puisque ce schéma d’histoire n’est pas lié au genre en question, il appartient aux auteurs de trouver une idée qui sorte du lot. De ce point de vue, j’espère plutôt m’éloigner de ce qui existe déjà et créer quelque chose d’original. Je suis d’ailleurs persuadée que la fantasy peut être plus qu’un simple divertissement (comme elle est souvent perçue) et aborder des sujets complexes autant que n’importe quel autre genre. Selon moi, la fantasy ne risque pas de boucher le marché. Il y a même encore beaucoup à creuser de ce côté-là.

Estelle Castadère : C’est un bien, assurément ! La fantasy a tellement longtemps été mal considérée, qualifiée de sous-littérature, reléguée à un truc de geeks un peu ringard… Je suis heureuse de voir qu’elle a autant la côte aujourd’hui ! Bien sûr il y a le revers de la médaille ; plus il y a d’offres, plus il est difficile de tirer son épingle du jeu, de se distinguer de la masse de livres de fantasy publiés et de la tonne de manuscrits en recherche de maison ! Et plus il est facile de lasser les lecteurs… Mais je pense que la fantasy a encore de beaux jours devant elle !

Je ne pense pas qu’on puisse résumer la Fantasy à quelques ingrédients qui font un bon roman… C’est tellement difficile, il existe tellement de fantasy différentes ! Mais il y a bien sûr des tendances, notamment en YA, des romances pas toujours très très saines qui sont au cœur de l’intrigue (et les romances en Fantasy de manière générale sont assez recherchées en ce moment), ou bien des intrigues très cadencées, bourrées de cliffhangers et de plot twists. Mais ça reste difficile de résumer ce qui marche à quelques tropes, l’offre est tellement vaste aujourd’hui !

En ce qui me concerne, je fais attention à ce qui marche, à ce qui se vend, je m’imprègne des codes du moment, mais je ne laisse pas tout ça me dicter la marche à suivre. Je n’ai pas non plus l’intention de m’en éloigner à tout prix. Je prends ce qui m’inspire, ce qui me parle, et j’écris ensuite l’histoire qui me fait vibrer ! Je n’ai pas l’intention de révolutionner le genre, ni de rentrer dans des cases hyper formatées. Disons… quelque part entre les deux !

Quel est votre sous-genre préféré de la fantasy à écrire et à lire ? Pourquoi ? Est-ce que vous avez des recommandations de lecture à nous partager ?

Cancan : Récemment, j’ai dévoré et adoré Le Puits des Mémoires de Gabriel Katz. Je ne sais pas à quel sous-genre de la fantasy il se rattache. Cette classification a peut-être une utilité pour les experts, les éditeurs, mais je ne choisis pas mes lectures en fonction de cela. Je pioche un peu dans toutes les catégories au fil de mon ressenti par rapport à une quatrième de couverture sur les étals d’une librairie, à une recommandation d’un ami ou à une critique dans la presse. En règle général, j’écarte les prix truc et machins, je fuis le vacarme médiatique. Exception notoire, les sept tomes d’Harry Potter.

Estelle Carballar : C’est assez difficile, je n’ai pas particulièrement de sous-genre préféré. En revanche, j’ai quelques recommandations. La première lecture qui m’a vraiment marquée a été Les âmes croisées de Pierre Bottero. L’héroïne était franchement antipathique pendant une bonne partie du livre, ce qui lui permettait d’évoluer énormément par la suite, et l’univers était très agréable, avec l’exploration d’anciennes ruines. J’ai également beaucoup apprécié American Gods de Neil Gaiman, avec un univers assez perché puisque dès qu’une croyance prend forme, un dieu est présent. Ce sont donc les hommes qui créent les dieux, et les font disparaître lorsque plus personne ne croit en eux. Je trouve cette idée très intéressante.

J’ai aussi, sans surprise, lu tous les Percy Jackson de Rick Riordan lorsque j’étais plus jeune. Je trouve que c’est une très bonne entrée dans l’univers de la mythologie grecque, mais qui devient une lecture un peu simple pour des adultes. Récemment, j’ai également pu découvrir Vampyria de Victor Dixen, qui fait totalement partie de mes coups de cœur. Un univers où le temps s’est arrêté depuis que Louis XIV a été transformé en vampire et où les taxes payées se versent en sang pour nourrir les nobles. J’ai également été conquise par l’héroïne qui n’a pas froid aux yeux, et n’hésite pas à démolir tout ce qu’il y a sur son passage pour obtenir ce qu’elle veut. Je m’arrête aussi, autrement, il me faudrait écrire un nouveau livre pour parler de toutes les lectures que j’ai appréciées.

Estelle Castadère : Je n’ai pas vraiment de sous-genre préféré en Fantasy. Je peux lire de tout si le résumé m’inspire ! Quelques recommandations en vrac de mes coups de coeur de ces dernières années : la saga L’Assassin Royal de Robin Hobb (un culte qui restera pour moi indétrônable), Les Seigneurs de Bohen d’Estelle Faye, Loin des Îles Mauves de Chloé Chevalier, Vespertine de Margaret Rogerson, Derniers jours d’un monde oublié de Chris Vuklisevic… En ce moment je lis L’épée, la famine et la peste de Aurélie Wellenstein, et je recommande vivement !

L’écriture d’un manuscrit peut être un chemin long et périlleux. Comment s’est passée cette aventure pour vous ? Combien de temps avez-vous mis pour écrire votre roman ? Est-ce que vous en êtes pleinement satisfait aujourd’hui ? Pourquoi ?

Cancan : Oui, un chemin très long, des années. Au début, j’ai pensé dresser un plan, un canevas détaillé et je l’ai fait. Mais, passé le préambule, les phrases s’en sont affranchies, elles ont suivi un autre cours, leur cours naturel, dirais-je. Les personnages ont pris leur indépendance, il n’est resté que les grandes lignes de l’histoire initialement envisagée. Je ne maîtrisais même pas la taille des développements. Puis, l’impasse. Le sentiment décourageant de m’être laissé entraîner dans une mauvaise direction. Le tapuscrit prend la poussière dans un coin du disque dur. Et un jour, Clac, l’idée qui débloque la situation et ça repart.

Est-ce périlleux ? Ce n’est pas le terme que j’emploierais, éprouvant plutôt. Particulièrement quand cette œuvre que l’on imagine aboutie parce qu’on l’a lue et relue et améliorée et reaméliorée dix fois est soumise à des bêta-lecteurs (hors de notre cercle restreint de connaissances, parents, amis). Les retours que l’on obtient alors sont durs, sans fard, et il faut se blinder pour accepter la réalité, reconnaître les défauts et ouvrir un nouveau chantier. Se remettre en question, c’est vraiment dur parfois. Par exemple quand on réalise qu’une scène manque de crédibilité ou heurte trop les sensibilités, qu’il faut la réécrire et que, de fil en aiguille, cela remet en cause une grande partie de l’intrigue.

Pleinement satisfait ? Je vois le concours comme une étape, réussie. J’aimerais bien parvenir à une version éditée et je me dis qu’il y aura encore beaucoup de travail.

Estelle Carballar : Effectivement, ce fut un chemin long et périlleux. J’ai commencé à en avoir l’idée en 2011, mais l’idée a mûri jusqu’en 2015. J’ai ensuite écrit trois versions de l’histoire, et j’ai terminé la dernière le 31 décembre 2017 (il fallait finir l’année en beauté). Suite à ça, j’ai encore apporté de nombreuses modifications sur plusieurs années, mais je ne suis plus repartie de zéro, les fondements étaient bien là. Je pense qu’il me sera difficile d’être un jour pleinement satisfaite de ce que j’ai écrit, mais je dirais que je suis assez contente de ce que j’ai fait pour le moment. J’ai déjà passé beaucoup d’années dessus, et il faut bien finir par tourner la page.

Estelle Castadère : L’écriture de Valacturie a en effet été particulièrement longue et périlleuse ! C’était mon premier roman, le projet était assez ambitieux, et j’ai énormément tâtonné. J’avais un plan assez vague, j’ai beaucoup improvisé au milieu (au final je me rends compte que ça reste aujourd’hui la technique qui me correspond le mieux, mais quand on débute on ne sait pas trop si on fait comme il faut ou non…), et il y a eu un moment où je me suis sentie complètement dépassée par mon projet. Pour un premier roman, je ne me suis pas lancée dans quelque chose de simple. Pourtant à la lecture aujourd’hui, les lecteurs me disent que tout est limpide et très simple à comprendre, ce qui pour moi est une grosse victoire ! Parce qu’à l’écriture, y en a eu des rafistolages !

Ce roman-là, je l’ai commencé en 2017 et terminé en 2021. Il y a eu un an de pause au milieu (pour cause de grossesse et de post-partum), et beaucoup de versions différentes. Au départ, j’avais prévu un one-shot. Qui s’est transformé en trilogie. Qui a terminé en duologie. J’ai fait des rajouts, puis des coupes drastiques, j’ai rajouté des sous-intrigues, supprimé d’autres sous-intrigues, déplacé des sous-intrigues, bref… J’ai ga-lé-ré !

Mais la version finale de Valacturie, celle que j’ai présentée aux Murmures Littéraires, j’en suis satisfaite et vraiment fière. Quand je vois à quoi il ressemblait au début, et le résultat final, je n’en reviens pas du travail que j’ai accompli ! Et voir qu’il a séduit les membres du jury termine de me convaincre que j’ai réussi à en sortir le meilleur. Il est encore perfectionnable, évidemment, mais je ne pense pas pouvoir l’emmener plus loin par moi-même. J’espère pouvoir le faire avec une maison d’édition, si quelqu’un lui laisse sa chance.

Envisagez-vous l’édition pour vos projets ? Si oui, avez-vous une maison d’édition dont vous rêvez ? Avez-vous des craintes vis-à-vis du processus éditorial, des choses qui vous font hésiter à vous lancer ?

Cancan : J’ai anticipé la réponse à cette question. Un bon éditeur à compte d’éditeur me suffirait. Se lancer est facile à l’heure de l’internet et des envois en format numérique. Ce qui est usant, c’est les longs mois d’attente avant un retour négatif sans explications.

Estelle Carballar : Oui, je l’envisage complètement. Il n’y a pas de maison d’édition dont je rêve particulièrement, si ce n’est une maison d’édition qui s’occupera bien de mon livre. Les craintes que je peux avoir concerneraient directement le travail éditorial. J’aimerais avoir une couverture qui mette en valeur mon roman, mais aussi un éditeur qui n’hésite pas à me dire quels sont les points à retravailler. J’hésite encore avant de proposer mon livre car je n’ai pas encore terminé d’écrire le deuxième tome (qui sera aussi le dernier), et je sais qu’il est plus rassurant de publier un projet qui soit déjà fini.

Estelle Castadère : J’ai aussi anticipé cette question dans mes réponses précédentes. Oui, j’aimerais que ce roman, et les autres, soient publiés en maison d’édition. Beaucoup de maisons me font rêver, Hachette, Gallimard, Rageot, Bragelonne, si je me permets de rêver grand ! Mais je serais surtout heureuse de trouver un éditeur fiable, sérieux et humain avec qui le travail se passerait en toute confiance.

Parlons un peu du concours Les Murmures Littéraires ! Pouvez-vous un peu nous raconter votre expérience du concours ? Pourquoi est-ce que vous vous êtes inscrit.e.s ? Qu’avez vous pensé de votre aventure et du retour des juges ? Recommanderiez-vous le concours ?

Cancan : J’ai découvert ce concours un peu par hasard au détour d’un échange sur Cocyclics (forum sur internet de bêta-lecteurs de l’imaginaire). L’intérêt qui m’a tout de suite paru capital, c’est le retour des juges sous forme de fiches de lecture détaillées. Je me suis inscrit, la procédure est claire et bien précisée. Sans hésitation, je recommande le concours des Murmures littéraires.
Ceci dit, comme pour les retours de bêta-lecteurs, il y a une grande diversité entre les retours des juges. Tel aspect du roman, tel passage sera exceptionnel pour l’un alors qu’un ou une autre y verra une faiblesse, une maladresse ou un grave défaut. Ces contradictions entre juges reflètent bien sûr la grande diversité des esprits humains. Pour l’apprenti écrivain, elles sont déroutantes, car il n’a pas d’autre solution que de faire des choix au mieux de son propre jugement : ignorer telle critique, prendre en compte celle-là… Bon, je suis parvenu à la dernière étape du concours, alors, dans l’ensemble, les avis étaient encourageants et cela motive fort pour continuer.

Le concours offre aussi aux lauréats la soumission de leur manuscrit à un éditeur avec l’engagement pour ce dernier de justifier sa décision de publier ou pas. Encore un intérêt supplémentaire pour candidater. Car c’est le retour d’un comité de lecture d’une maison d’édition soucieuse de diffuser un roman, de lui trouver des acheteurs-lecteurs pour gagner de l’argent. Ce que les juges d’un concours gratuit ou les bêta-lecteurs d’un forum ne peuvent pas fournir. Je suis dans ce processus ce jour…

Estelle Carballar : Je me suis inscrite à ce concours car il est difficile de faire la différence en tant que jeune auteure qui n’a jamais été publié, et qu’il n’y avait que du bien à en retirer. Nous étions sûrs de repartir avec quelque chose, quel que soit le résultat. J’ai été très agréablement surprise par la qualité des retours que j’ai eus en participant à ce concours, qu’ils soient positifs ou négatifs, tout était bien construit et bon à prendre, et cela fait vraiment plaisir. Je pense que c’était le plus important, que tout le monde reparte avec quelque chose. Je trouve aussi que le livret était une très bonne idée de ce point de vue, de pouvoir valoriser les passages qui ont marqué, tous textes confondus. J’ai également beaucoup apprécié les échanges que j’ai pu avoir avec les auteurs et les juges à la cérémonie de remise des prix, l’ambiance était très agréable. Bien évidemment, je recommande ce concours, il n’y a pas à hésiter !

Estelle Castadère : J’ai entendu parler du concours via Instagram, et je me suis dit que c’était exactement ce qu’il me fallait pour avoir des retours construits et pertinents sur ma version finale de Valacturie. Après l’avoir retravaillé tant de fois, j’étais un peu perdue ! Mon bêta-lecteur m’avait suivie dans toutes les étapes et toutes les modifications, j’avais envie que quelqu’un le découvre avec un oeil neuf ! Je me suis donc inscrite pour voir si ce roman paraissait enfin abouti et publiable, ou s’il y avait encore du travail à faire.

Ça a été une super expérience ! Le concours est parfaitement organisé, les retours des juges sont détaillés, précis, pertinents, et la possibilité d’échanger avec eux ensuite sur le discord pour éclaircir quelques points est un sacré bonus ! Ce concours est très précieux lorsqu’on a envie de savoir ce que vaut son roman. Je le recommande sans hésiter !

Choisissez un mot chacun.e que la ou les prochaines personnes après vous devront caser dans leur interview !

Cancan : Une vertu essentielle et trop souvent ignorée : Tolérance.

Estelle Carballar : Coruscant.

Estelle Castadère : Ambivalence.

Merci à tous les trois d’avoir pris le temps de répondre à mes questions, et rendez-vous très bientôt pour de nouveaux articles !

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